Le confinement de 2020 restera dans les mémoires pendant plusieurs générations. Il aura sans doute contribué à sauver des vies. Et il aura fait bien d’autres dégâts qui ne seront jamais mesurés, notamment sur le plan psychique (dépressions, suicides) et physique (comorbidités liée à l’obésité et la sédentarité).
Heureusement, pour la plupart d’entre nous, le retour à une vie normale ne sera qu’une formalité. Cette période n’aura aucune conséquence sur notre santé, et elle ne restera qu’un mauvais souvenir.
Ou pas.
Car à court terme, pour ce qui est de la course à pied et de l’activité sportive, le problème est tout autre. La plupart d’entre nous ont coupé toute activité en course à pied, ou tout au moins réduit drastiquement le volume d’entraînement, et ont mis un point d’arrêt à toutes les séances d’intensité ou de fractionné.
Tout comme l’envie de revoir les copains, la tentation de « remettre la sauce » dès le 11 mai va être grande ! D’autant que tous les verrous vont sauter d’un coup : la distanciation physique, la limitation de l’éloignement du domicile, et le temps de pratique.
Et cela ne sera pas sans conséquence sur votre corps, et en particulier vos tendons et vos muscles.
L’impatience, cause de tous les maux
On sait maintenant avec certitude que les variations des charges d’entraînement sont les sources principales de blessures. Les apparitions de celles-ci sont bien sûr multifactorielles, et il y a toujours des phénomènes déclencheurs (Le matériel, une fatigue passagère, etc.). Mais c’est bien la façon de planifier vos entraînements qui prépare le terrain à leur survenue.
Toutes les études montrent qu’une augmentation brutale de l’entraînement augmente immanquablement le facteur de risque de blessures. Et parfois dans des proportions importantes ! (Blanch & Gabbett 2015 in British Journal of Sport Medicine – The acute/chronic workload ratio permits clinicians to quantify a player’s risk of subsequent injury)
Le non respect de la progressivité à la reprise va entraîner avec certitude une épidémie de tendinopathie, syndromes rotuliens, et de nombreuses autres pathologies liées au Running. Et dans des proportions inédites, tant l’inactivité a été massive et simultanée.
Des précédents dans l’histoire
En 2011 aux USA, la Ligue nationale de Football Américain (NFL) avait imposé un arrêt de travail de 3 mois à ses joueurs, pour des questions d’accords salariaux (the NFL Lockout).
S’en était ensuivi, à la reprise, une augmentation de 2880% des ruptures des tendons d’Achilles : 12 en un mois, contre 5 par an habituellement (moyenne sur 5 ans) ! On imagine leurs chiffres pour les « simples » tendinopathies… (Myer & Al. in Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy 2011 – Did the NFL Lockout Expose the Achilles Heel of Competitive Sports?)
Et à titre individuel, chaque entraîneur de course à pied expérimenté peut rapporter bon nombre de cas d’athlètes s’étant blessés à la reprise, lors de la pré-saison.
Dé-confinés mais aussi déconditionnés
Cela s’explique parfaitement par le fait que les structures musculaires, articulaires et tendineuse n’ont plus été sollicitées spécifiquement par la course. On est déconditionnés. Sauter sur place, faire du gainage, du vélo, ou du rameur, ne sollicite pas avec les mêmes intensités et les mêmes contraintes musculaires que la course à pied. Et les processus d’adaptation sont réversibles.
Par exemple, après 2 semaines de pause dans le travail musculaire excentrique, on constate déjà une perte des adaptations architecturales des structures musculaires (Presland & Al. in Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports 2018).
Pour contrer cela, votre travail de corde à sauter (bien réalisé) aura pu limiter les pertes au niveau des mollets, mais pour les autres groupes musculaires, il faudra repasser…
Pour éclairer ces propos, sachez que l’un des débats de ces dernières années entre préparateurs physiques est de savoir s’il va y avoir des transferts de qualités entre des exercices de bondissements ayant un temps de contact au sol (TCS) d’environ 300 millisecondes, et une course de demi-fond d’un TCS de 130-160 millisecondes. Car on serait déjà trop éloigné pour avoir des effets utiles.
Alors si vous imaginez que d’avoir fait de la PPG dans votre salon va vous permettre de repartir directement sur un volume d’entraînement d’avant confinement, vous faites fausse route.
Même si avec d’autres activités nous avons réussi à garder une condition physique suffisante, et qu’il sera très utile d’avoir fait des progrès en gainage, il faudra néanmoins reprendre la course à pied avec une extrême prudence, sous peine de sanction rapide.
Des coureurs avec des facteurs de risques importants
Le confinement aura donc provoqué un déconditionnement physique important. Mais à cela s’ajoute d’autres effets qui vont accentuer l’ampleur de « l’épidémie ».
L’immense majorité des coureurs aura à déplorer une prise de poids non négligeable ces dernières semaines, suite à la baisse des activités physiques et à la hausse des « activités culinaires ».
Et cette prise de poids a un retentissement important d’un point de vue biomécanique, car toute surcharge corporelle multiplie les contraintes sur chaque articulation, et en particulier au niveau des membres inférieurs lors de la course. A l’impact au sol, votre masse est multipliée par 3 à 5 suivant votre vitesse et votre type de foulée. Donc chaque kilogramme supplémentaire représentera 3 à 5 kg de contrainte en plus, sur chacune de vos articulations, et à chaque pas.
S’ajoute à cela un autre effet pervers du confinement : la course sur le bitume. En effet, beaucoup de coureurs ont choisi de courir alors qu’ils habitent en ville. Or, à 1 kilomètre à la ronde, pas le choix que de courir sur la route et les trottoirs. Et les chocs provoqués par le bitume peuvent avoir eu l’effet de fragiliser le système locomoteur, malgré le peu de volume de course.
Comment s’immuniser face à cette épidémie ?
Avouez qu’il serait dommage d’être enfin dé-confinés et de ne pas pouvoir en profiter ! Pour se mettre à l’abri de ces risques de blessures, vous pouvez mettre en place quelques mesures barrières simples, mais efficaces.
1- Ne tenez pas compte du volume effectué dans d’autres activités
Les activités physiques pratiquées sur rameur, home-trainer, et tout autre travail de renforcement (HIIT, tabata, crossfit, gainage, etc.) ne doivent pas être pris en considération pour votre reprise de l’entraînement. Ce travail vous aura été profitable, c’est certain. Mais il ne doit pas vous autoriser à repartir « pleine balle ». Si vous n’avez pas couru ces dernières semaines, reprenez la course comme après un arrêt total de sport !
2- Évaluer les variations de charge de semaine en semaine
Le calcul de la charge d’entraînement n’est pas aisé. Pour mes athlètes, j’utilise la plateforme Nöliö qui permet de monitorer tout ça à l’aide de la fréquence cardiaque, des zones d’intensité, et surtout du RPE (ressenti à l’effort).
Sans ce type d’outils, et pour faire simple, on peut déjà totaliser les kilomètres parcourus et pondérer cette somme par votre RPE sur chaque séance.
Pour cela, vous multipliez le temps en secondes de la sortie par le ressenti associé (soit l’échelle de Borg graduée de 6 à 20, soit la méthode Foster avec une l’échelle RPE de 1 à 10).
Vous obtenez des unités (U.A. Unités Arbitraires) qui vous permettent de comparer la charge d’un footing facile de 60 minutes avec celle d’une séance de 40 minutes composée d’un fractionné de 20 fois 30-30’’ précédé d’un échauffement de 20 minutes.
Exemple d’après Foster :
– Footing facile de 60 minutes (60 x 3 = 180 U.A.)
– 20 x 30-30’’ précédé d’un échauffement de 20’ (20 x 2 + 20
x 7 = 180 U.A.)
3- Soyez patient et planifiez la reprise
Outre le volume d’entraînement, il faut donc aussi prévoir à l’avance l’intensité des séances. Car vous devez garder en tête qu’il faut éviter d’augmenter à la fois le volume et l’intensité.
Mais du coup, vous allez me dire que de n’augmenter progressivement et alternativement le volume et l’intensité, ça va être long ?
Et bien oui.
C’est pour cela qu’on se donne en principe un temps de reprise égal au temps d’arrêt (de course à pied, j’insiste).
Comme nous avons été confinés 8 semaines, vous devez planifier 8 semaines de reprise.
Voici un tableau pour vous permettre de gérer cette reprise sans avoir trop à vous casser la tête. Il a fait ses preuves sur le terrain, et il est l’assurance de ne pas se blesser bêtement dans les 15 jours qui viennent 😉
En conclusion, si vous avez végété dans votre canapé pendant 8 semaines, vous devez planifier 8 semaines de reprise avant de retrouver une entraînement conforme à celui que vous aviez avant le confinement.
Et dans le cas où vous auriez simplement diminuer votre volume d’entraînement, repartez de la colonne du tableau qui correspond à votre nombre de séance hebdomadaire actuel. Et le tour est joué 😉
Bonne reprise et bon dé-confinement à tou.te.s 😊
Sources :
Foster, C., Daines, E, Hector, L, Snyder, AC and Welsh, R, (1996). Athletic performance in relation to training load, Wis. Med. J. 95:370–4.
Foster, C (1998). Monitoring training in athletes with reference to overtraining syndrome, Med. Sci. Sports Exerc. 30:1164–8.
Presland & Al. in Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports 2018. The effect of Nordic hamstring exercise training volume on biceps femoris long head architectural adaptation.
Blanch & Gabbett 2015 in British Journal of Sport Medicine. The acute/chronic workload ratio permits clinicians to quantify a player’s risk of subsequent injury.
Salut, j’adore tes graphiques, c’est bien pour avoir l’information du 1er coup d’oeil.
Merci Adrien, J’essaye d’illustrer au mieux mes articles, afin d’en rendre la lecture plus facile. Il y en a de nombreux autres qui pourraient te plaire ! Bons runs
Bonjour,
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