Depuis quelques jours, les médias ont la dent dure contre Kilian Jornet, que certains jugent être à l’origine de la mort de deux coureurs dans le Mont-Blanc. Il encouragerait cette mode de grimper le plus vite possible, avec un équipement ultra léger.
Mais qui est donc ce dangereux individu ? Voici quelques éléments de réponse !
Un être d’exception
Kilian Jornet est un être humain d’exception. A 29 ans, il s’illustre dans l’ultra-trail depuis 10 ans, et a déjà remporté la « Diagonale des Fous » à la Réunion, La « Hardrock 100 » à trois reprise, « l’Ultra Trail du Mont-Blanc » quatre fois, quatre fois aussi le marathon du Mont-Blanc, il fut 5 fois vainqueur du « Skyrunner World Series », et je passe sur les épreuves du « kilomètre vertical », et autres records d’endurance comme celui du GR20 en Corse ou de la traversée des Pyrénées !
Mais il n’est pas seulement le meilleur ultra-trailers de la planète : Il a aussi été sacré Champion du Monde de ski-alpinisme à 7 reprises, dans 3 spécialités différentes.
Et comme le garçon n’est jamais rassasié, et s’est lancé en 2013 dans un défi qu’il a nommé « The Summit of my Life » (les sommets de ma vie). Cela consiste à battre les records d’ascension des plus hauts sommets de la planète, en solo, et sans oxygène bien sûr !
Avant ce défi, il avait déjà gouté à ce type d’exercice, notamment en 2010 en battant le record de montée et descente du Kilimandjaro en Tanzanie.
Puis entre 2012 et 2017, il bat records sur records au Mont-Blanc, sur l’Elbrouz, le Kinabalu, le Cervin, l’Aconcagua, et bien sûr le Mont Everest, le toit du monde, qu’il grimpe… 2 fois en 6 jours !
Il faut dire que Kilian Jornet est tombé dedans quand il était petit. Son papa était gardien de refuge dans les Pyrénées Catalanes, et sa maman entraîneur de ski ! Il vit dans ce refuge de montagne à plus de 2000 mètres d’altitude jusqu’à l’âge de 12 ans, et doit faire près de 15 km de ski de fond chaque jour pour aller à l’école. Et sur son temps libre ? Le pic d’Aneto (3404 mètres) à l’âge de 5 ans, le Breithorn (4100 mètres) à 6 ans, la traversée des Pyrénées à 10 ans.
A 13 ans, il entre dans un sport-étude de ski-alpinisme en Espagne, puis choisi la filière STAPS à 17 ans pour étudier à Fond-Romeu (66) et rester en montagne.
Son insolente facilité l’emmène malgré lui à faire des choses qui dépassent l’entendement, pour nous autres mortels.
Par exemple, en période de préparation, il lui est arrivé de grimper le Mont-Blanc 2 fois dans une même semaine, en tenue de trailer, donc sans équipement d’alpinisme. (ça lui prend seulement 5 bonnes heures !)
Sa connaissance intime de la montagne, son haut niveau d’expertise technique et son physique hors norme lui donne une marge de sécurité énorme pour ce type d’ascension.
Lecture de l’acte d’accusation
Mais voilà, ceux qui l’accompagnent parfois n’ont pas ce niveau. En 2013, il se fait prendre au dépourvu dans l’ascension de la face nord de l’aiguille du midi, accompagné de son amie Emelie Forsberg. Sa première erreur, et la première polémique !
En tenue trop légère, et surpris par la météo, ils doivent se résoudre à demander l’intervention du PGHM de Chamonix.
L’histoire aurait pu en rester là, mais les médias font leurs choux gras de cet incident qui aurait pu passer sous silence. Et cela provoque une levée de bouclier, bien compréhensible. Il se fait taper sur les doigts par les sauveteurs en montagne pour le mauvais exemple qu’il donne.
« On aime la montagne de cette façon, légers et rapides »
Mais Kilian Jornet ne s’est jamais vanté de grimper léger. Quand on lui pose la question, il explique sa philosophie et ce qui l’a poussé vers cette quête de communion avec la montagne et les éléments. Mais il n’a jamais incité les autres à l’imiter.
En aout 2017, Mathieu Craff (28 ans), un trailer breton de bon niveau, en préparation pour le Grand Raid de la Réunion, trouve la mort à 4500 mètres d’altitude, alors qu’il descendait le Mont-Blanc en courant. C’est le deuxième décès d’un « trailer » pour le même mois d’août, et le Maire de Saint Gervais, Jean-Marc Peillex, prend alors un arrêté municipal obligeant les candidats alpinistes à avoir l’équipement minimum nécessaire, sous peine d’une amende de 38€.
Mais Kilian Jornet prend cela à la légère et réagit maladroitement sur son compte twitter en publiant une ancienne photo de lui (prise en 2012), nu au somment du Mont-Blanc, avec le commentaire suivant : « Bref, si on grimpe coté italien c’est légal? ».
Sa deuxième erreur selon moi, compte tenu de son statu de superstar, et de l’impact qu’il a chez les nombreux coureurs qui l’ont érigé en icône de l’ultra-running.
Kilian Jornet nu sur le Mont Blanc, en 2012
Accusé, levez-vous !
Il n’en faut pas plus pour que les médias se déchainent, parlant tous de « l’effet Kilian Jornet » pour illustrer l’augmentation de trailers inconscients qui s’aventurent en haute montagne sans l’expérience, ni l’équipement nécessaire, en supposant qu’ils aient voulu imiter leur idole.
Mais il est loin d’être le seul à se moquer de monsieur le maire. De nombreux guides ont brocardés cet arrêté, soulignant qu’il était contre productif et inapplicable, accusant au passage le maire de Saint Gervais de vouloir administrer le Mont-Blanc, ou de vouloir faire un coup de com’.
Toujours est-il que la facilité avec laquelle Jornet grimpe aux cimes l’a amené malgré lui à banaliser la pratique du sport en haute montagne aux yeux du grand public, et des amateurs de montagne moins expérimentés. C’est sûr que le Mont-Blanc ne paraît plus aussi difficile d’accès qu’avant quand un gars le monte 20 fois en basket !
Circonstances atténuantes
Faut-il pour autant lui mettre ces deux morts sur le dos, comme certains s’empressent de le faire ?
Je pense que non. Le propre de l’humain est de dépasser les limites, d’explorer, et ces comportements sont inévitables. C’est ce qui fait que l’homme est devenu homme.
« Citius, Altius »
Mais auriez-vous l’idée de grimper la Tour Montparnasse à mains nues sans matériels parce que vous avez vu Alain Robert le faire ? Non.
Auriez-vous l’idée d’imiter Alex Honnold en le voyant grimper en solo et sans assurage les 1000 mètres de la paroi verticale du Big Wall d’El Capitan (Yosemite). Non plus…
Il faut faire preuve d’un peu de bon sens, et garder en tête que le danger en montagne est omniprésent.
Cela n’empêche pas l’esprit de compétition, chacun à son niveau physique et à son niveau d’expertise.
D’ailleurs, pour la petite histoire, la course aux records sur le Mont-Blanc n’est pas nouvelle, loin de là. Dans les années 80, des athlètes s’élançaient de Cham’ en short pour inscrire leurs noms au palmarès du toit de l’Europe !
Voici la pépite que j’ai exhumé pour vous !
Un verdict messieurs les juges ?
Il n’est pas question ici de le juger. Ni de manquer de respect aux athlètes disparus. Mais en montagne, c’est à chacun de mesurer les risques en fonctions de ses capacités et de son expérience.
Quand au couplet sur son imprudence en 2013 et le coût d’une intervention du PGHM, c’est un faux débat. Ce groupement de secouristes de haut vol fait en moyenne 900 interventions par an, et il est là pour tous les alpinistes : connus ou anonymes, ceux qui n’ont pas pris le bon matériel, ceux qui se sont trompé sur la météo, ceux qui ont eu un problème physique, ceux qui se sont perdus dans le brouillard. La vérité, c’est que pour beaucoup, son statu devrait l’obliger à être parfaitement irréprochable. Ce qui est toléré pour les autres devient intolérable pour lui !
Alors oui, il pourrait jouer un rôle dans la prévention des risques en montagne. Je prédits pour bientôt des « tutos » et autres spots de prévention de la part de Jornet. Ses sponsors l’y aideront.
Sa réponse en vidéo : pédagogie et mise en garde
Kilian Jornet semble d’ailleurs en avoir pris conscience, sentir que c’était la voie vers laquelle il devait se diriger. Voici la vidéo publiée trois jours après son tweet « ironique ». Il y donne ses conseils pour évoluer en montagne en toute sécurité : matériel, préparation, formation, tout y passe !
Voici la vidéo avec les sous-titres en Français. Vous pouvez aussi retrouver la transcription texte de la vidéo en bas de l’article.
Pour en savoir plus
Si le bonhomme vous intrigue, vous pouvez commencer par lire son premier livre « Courir ou mourir ».
Transcription texte de la vidéo « Kilian Jornet : ses conseils de sécurité »
« Bonjour tout le monde ! Comment allez-vous ?
Aujourd’hui je veux vous parler du risque en montagne, et comment vous pouvez le gérer.
Je suis très heureux d’encourager les gens à aller dans la montagne car je crois que c’est meilleur pour la santé d’être en activité, de ne pas être sédentaire. C’est bon d’aller en montage parce que c’est une expérience magnifique.
Pour ma part, j’ai besoin de ça pour comprendre la nature pour comprendre l’environnement. Et c’est bon pour la santé de ceux qui vivent dans un environnement plus artificiel
Mais vous devez comprendre que d’aller en terrain alpin, d’aller en montagne c’est prendre un risque. Personne n’échappe à ce risque. Et nous avons besoin de comprendre ça, et d’avoir confiance dans notre pratique.
Il faut donc essayer de minimiser ce risque en fonction de nos capacités et des conditions en montagne.
Actuellement, je pense que je fais demi-tour dans 50 % de mes tentatives en montagne.
La moitié des fois je ne me sens pas bien, ou je sens que ce n’est pas le jour, ou que les conditions ne sont pas celles que j’espérais. Alors je retourne à la maison ! Et c’est bien.
Je crois que c’est mieux de rentrer à la maison vivant que de se mettre en danger dans la montagne.
Donc, je voudrais vous dire quelques mots sur la façon dont je gère, de faire la bonne analyse : savoir si je peux le faire, ou non.
En premier, ce qu’il faut comprendre, c’est que l’alpinisme est une activité à risque, et que nous ne pouvons pas être totalement en sécurité là bas.
Alors nous devons comprendre l’environnement, nous devons comprendre comment est la montagne.
Toutes les montagnes sont différentes : les Alpes, les Pyrénées, l’Himalaya, les Andes, les montagnes Scandinaves. Elles ont un environnement différent
Parce que la température est différente, la qualité des rochers est différente, ainsi que le vent, l’humidité…
Alors, c’est un processus qui prend du temps. Observer cette montagne, observer la voie que l’on va prendre, essayer d’avoir des informations dessus, essayer de comprendre les effets du vent, s’il faut chaud savoir comment les rochers tombent, tout ça pour avoir une vue d’ensemble de la montagne, et pour identifier où sont les risques potentiels
Ensuite, c’est l’approche avec humilité. Je veux dire, ne pas surestimer nos capacités
En premier, vous identifiez vos capacités, comme vos aptitude technique à grimper
Si on grimpe 5A ou 6E, ou 8A, ce sera différent de vos capacités dans les montagnes
- Avoir les connaissances pour grimper sur la glace
- Votre endurance : combien d’heure êtes-vous capables de tenir
- A quelle vitesse vous pouvez vous dégager
Toutes ces capacités seront importantes, comme la technique que vous êtes capable de mettre en œuvre
- Les équipements pour la glace,
- Les cordes,
- Savoir comme poser un relais dans les différents types de roches, en différents endroits
Et je pense qu’il est très important d’améliorer ces capacités et techniques dans un environnement sécurisé, comme sur un mur d’escalade ou un terrain facile, afin d’être capable de repousser nos limites sur ces points de sécurité, et ensuite aller en montagne avec une grande marge de sécurité.
Le matériel que vous emmenez, il faut savoir l’utiliser. Car c’est inutile d’avoir un sac à dos plein de choses dont vous ne savez pas vous servir. C’est important de s’entraîner avec l’équipement, d’éprouver les techniques, de développer ses compétences, et donc son expérience.
Mais pour avoir de l’expérience, nous avons besoin d’apprendre, d’avoir un processus d’apprentissage. On fait souvent beaucoup d’erreur. On est jeune, on fait des erreurs par inexpérience, mais c’est bon, car ça veut dire que nous apprenons.
Ce sont les erreurs qui vous font prendre conscience qu’il y a beaucoup de risques, et ça fait partie du processus d’apprentissage.
Et ça ne vient pas tout seul. Il y a de nombreux endroits où vous pouvez apprendre, comme sur Internet où vous pouvez trouver des sites et des formations.
Mais par dessus tout, vous devez avoir un mentor, quelqu’un de plus expérimenté, qui a plus de compétences que vous, en qui vous pouvez avoir confiance, et suivre en montagne afin d’apprendre comment rester en sécurité.
Et si vous n’avez pas cette personne, vous avez les guides de montagne
Puis ensuite, le plus important est de se former en permanence .
Et ce n’est pas parce que nous avons été régulièrement causes d’avalanches que nous faisons attention à cela.
Avant chaque hiver, nous avons besoin de faire des formations sur les avalanches, sur les coulées de neige, sur le sauvetage en crevasses.
Et avant chaque saison d’été, je passe une semaine à revoir les manipulations de cordes;
Donc ça c’est l’apprentissage, et après je pense qu’il est important de planifier et de s’adapter aux conditions de la montagne.
Quand vous partez en sortie, vous avez besoin de prévoir quelle route vous allez prendre, quel matériel vous allez emporter, quelles sont les prévisions météo du jour, quel itinéraire vous allez prendre et quels sont les itinéraires de dégagement. Toutes ces choses nous donnent un aperçu de l’état de la montagne.
Et après vous vous adaptez. Car quand vous êtes en montagne, le plan n’est généralement pas suivi : quelqu’un est trop fatigué, ou les conditions ne sont pas celles que vous espériez. Alors vous adaptez, vous regardez comment vous dégager vers un autre itinéraire.
Vous regardez comment sont les conditions : s’il fait trop doux, les rochers peuvent tomber, s’il y a du soleil et que la neige est molle, il y a des risques d’avalanche
Alors vous devez adapter et ne pas avoir peur de faire demi-tour
OK, ce n’est pas ce que j’espérais ? Alors je rentre ! Je vais aller faire autre chose.
Les montagnes de bougent pas. Elles seront là quand vous serez prêt.
Si vous ne vous sentez pas assez préparé, c’est mieux de rentrer chez vous, de vous entraîner dur, de vous préparer mieux ! Et ainsi vous sentirez prêt, avec les compétences pour affronter la montagne.
Et enfin, il faut accepter. Accepter que les conditions en montagne soient comme-ci, que mes compétences et mon expérience soient comme ça. Donc le risque de grimper est acceptable, ou non.
Nous devons comprendre ceci : chaque personne est différente, avec des compétences différentes. Quand je vois Alex « El Capitan » grimper en solo, je me dis que je n’aurais jamais les compétences, la technique et la force physique pour faire ça ! Il va juste à la mort !
Nous devons prendre en compte nos compétences, notre expérience, et le risque que nous acceptons. Je crois que pour certaines activités d’alpinisme, Nous avons besoin de prendre beaucoup de risques. Car il n’y a qu’une seule voie. Vous verriez certaines voies dans l’Himalaya, elles sont très exposées. Et c’est… C’est une erreur d’y aller.
Des alpinistes vous dirons qu’une ou deux fois dans leur vie, ils ont pris de gros risques. Qu’ils pensaient qu’ils ne reviendraient pas vivants… C’est un choix. Je veux dire… Êtes-vous prêt à accepter ça ? A accepter une activité sachant que vous mettez votre vie en jeu ?
Ce que vous devez toujours vous dire avant chaque activité c’est : OK, je suis capable de faire ça. J’ai les compétences et j’ai de la marge.
Face au risque en montagne : vous l’acceptez et vous y allez, ou vous rentrez chez vous pour vous entraîner plus dur et revenir plus tard.
Je pense que la chose la plus importante en montagne, c’est de prendre du plaisir. C’est quelque chose qui vous challenge certes, mais par dessus tout vous devez pouvoir apprécier !
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
Passez une bonne semaine !
Au plaisir de vous croiser bientôt en montagne ! »
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