J’ai lu « Courir léger : Light Feet Running »

J’ai lu un ouvrage de référence sur la foulée en course à pied : « Courir léger : Light Feet Running – le guide pour optimiser votre foulée », de Solarberg Sehel.

Le livre est paru en 2014, et c’est devenu rapidement un best seller dans cette thématique. Pour en arriver là, Solarberg Sehel (un pseudo à priori) a du trouver un moyen de se différencier des autres auteurs. Il a donc formalisé et baptisé un type de foulée qu’il veut particulièrement efficace et protecteur pour le coureur, le LFR (Light Feet Running).

Mais je ne vous cache pas que j’ai un avis très mitigé à l’issue de la lecture de cet ouvrage. Car derrière le marketing, certaines notions essentielles sont travesties au service de la méthode, et au détriment de la vérité il me semble. Mais il y a néanmoins des choses intéressantes qu’il faut relever. Ce que je vais faire pour vous !

Le contexte du minimalisme

Plus qu’une mode, le minimalisme en course à pied est une philosophie. Celle qui consiste à se rapprocher de la course originelle, sans artifice, sans matériel. Depuis la moitié du XXe siècle, et depuis que l’homme court pour son plaisir et par hygiénisme, il y a toujours eu des « hippies du running » pour courir pieds nus et (quasiment) sans rien sur eux.

Car bien entendu, l’être humain est fait pour courir, et courir pieds nus ! Pendant 2 millions d’années, il n’a pas eu besoin de chaussures pour chasser et se déplacer.

Malgré cette réalité, l’industrie et le marketing se sont emparés du monde sportif, et les marques proposent depuis les années 1970 des modèles avec toujours plus d’amorti ou de contrôles de la posture.

Et après une quarantaine d’année de recul, le constat est pourtant sans appel : 35 à 40% des coureurs se blessent chaque année ! (Foot strike and injury rates in endurance runners : a retrospective study. Med Sciences Sports Exercices #44 – 2012).

Mais je tempère ces résultats en rappelant que le nombre de pratiquant augmente chaque année, et que donc mécaniquement la proportion de néo pratiquants augmente aussi, et le risque de blessure avec…

C’est en partant de ce constat que la mode du minimalisme est (ré) apparue. Ce phénomène a été médiatisé et amplifié par la sortie du livre « Born to Run » (né pour courir) en 2009, écrit par Christopher McDougall. Dans ce livre, traduit et publié en France en 2012, l’auteur fait le récit de sa rencontre avec les Tarahumaras. Cette tribu du Mexique a depuis toujours la course à pied au centre de son mode de vie. Ses coureurs, chaussées uniquement de sandales, sont imbattables sur les longues distances. Et ils semblent surtout être exempt de toute blessure liée à leur pratique.

L’une des tendances actuelle est donc de chercher à respecter l’anatomie et la mobilité naturelle du pied avec des chaussures très souples et dotées d’une semelle très fine.

Le must de la chaussure minimaliste étant la « five Fingers » de chez Vibram, ne comportant qu’une fine couche de caoutchouc, juste pour protéger la peau !

L’utilisation des chaussures minimalistes aurait donc pour intérêt principal de diminuer le risque de blessures liées à la course à pied, voir même de participer à faire disparaître les blessures existantes. Car en minimaliste, la posture et la pose de pied s’adaptent naturellement pour diminuer les contraintes mécaniques.

Et depuis quelques années, différentes méthodes ont vu le jour afin de nous apprendre à mieux courir. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le livre « Courir léger : Light Feet Running – le guide pour optimiser votre foulée », mais il y en a d’autres. D’ailleurs, la notion de « coureur terrien » /« coureur aérien » utilisée par Cyrille Gindre (et d’autres) semble avoir bien inspiré la notion de « coureur marcheur » / « coureur à dominante médio-pied » que l’on retrouve dans « LFR ». Elles ont en effets les mêmes caractéristiques.

Qu’est-ce que la méthode Light Feet Running ?

La méthode LFR part du principe que 80% des coureurs attaquent par le talon, encouragés en cela par les chaussures modernes qui coupent le coureur des sensations qui devraient lui envoyer le pied.

Hors cette « attaque talon » ou « talonnière » a deux grands défauts :

  • Elle n’est pas efficace pour courir vite (ce que je partage et que j’enseigne depuis plus de 15 ans, comme tous les coaches d’athlé)
  • Elle est source de blessures, ce qui est hautement probable (mais qui manque encore d’études à grande échelle pour le prouver)

L’analyse est bonne, dans le sens que changer sa foulée si l’on on attaque (vraiment) par le talon est une bonne indication. Car cela va diminuer les ondes de chocs et protéger la santé du coureur.

Foulée médio pied

Mais le constat et la statistique de départ sont très discutables.

D’une part, si vous faites un arrêt sur image du pied 5 centimètres avant le contact au sol, vous aurez un angle par rapport au sol chez plus de 80% des coureurs, c’est vrai. Ce qui ne veut pas dire que ces coureurs vont attaquer talon ! Car la cheville et le pied sont en mouvement (flexion plantaire de la cheville) et généralement, le pied est actif et s’organise au dernier moment pour ne pas percuter le sol avec le talon.
Ci-dessous sur la photo, on peut voir le pied qui semble attaquer talon (à gauche), puis le basculement du pied avant le contact au sol (au milieu), et la charge de l’appui sur l’avant pied, sous le centre de gravité (à droite).

D’autre part, quand bien même on observe un talon qui touche le sol en premier, il faut encore savoir si le coureur vient charger l’appui à ce moment là ou pas ! Car il faut distinguer le contact du réel impact !
Certains (j’en entraîne plusieurs) on un « talon proprioceptif ». Comme si le contact avait juste pour vocation de guider le début de l’action du pied au sol, sans phase d’amortissement à ce moment là. L’athlète ne vient alors charger l’appui que lorsque son pied est à la verticale de son bassin. Du LFR avec une attaque talon !

Cependant, il est évident que l’auteur est véritablement passionné de biomécanique, et cela transparait dans l’ouvrage. Un travail considérable a été produit, et l’analyse de la foulée est intéressante et passe bien en revue les notions de base de la discipline (la poulaine, les mouvements pendulaires, etc.). C’est donc une bonne synthèse des connaissances sur le sujet et un exercice de vulgarisation bien mené.

J’y ai même découvert une notion nouvelle pour moi : le « moteur vertébral » (spinal engine) . Est-ce un réel « moteur » ou une conséquence à gommer, ça reste encore à éclaircir… Certes en sprint, on observe ce mouvement de rotation du tronc par rapport au bassin : mais en sprint, on recherche une efficacité maximum, quelque soit le coût énergétique. Alors qu’en endurance il reste à savoir s’il faut neutraliser ou favoriser ce « moteur vertébral ».

Les points clés de la méthode

Pour aller un peu plus loi, voici une synthèse des points clés de la méthode LFR. Ils sont au nombre de 6 :

1- Une posture droite (alignement du corps, les bras dans l’axe)

2- Une implication active du haut du corps (action des bras)

3- Une poulaine caractéristique (avec le pied qui monte et un contact au sol de l’avant vers l’arrière)

4- Un fléchissement des genoux (de la jambe libre pour laisser le pied monter, et de la jambe d’appui pour amortir)

5- La pose de l’appui sur l’avant du pied (l’auteur n’utilise alors plus le terme de médio-pied dans ce chapitre), avec une pose d’appuis sous le bassin.

6- Une fréquence de pas élevée

Tiens ! Dans un premier temps je suis plutôt d’accord. On retrouve là précisément les fondamentaux de la foulée que l’on enseigne dans les formations fédérales ou en première année de STAPS : appuis efficaces (pied armé, prise du sol vers l’arrière, pose de l’appui sur l’avant pied sous le bassin) maintient des alignements, gainage, action des segments libres (diminution des leviers pour les bras et la jambe libre), rythme.

Le médio-pied est la zone située entre le talon (arrière pied) et la plante (avant pied).

Mais ensuite les descriptions et les exercices vont à l’encontre d’une pose « médio-pied ». Les exemples montrent clairement des athlètes qui sont en appui sur « l’avant pied », à des degrés variables suivant l’allure de course et la fatigue (c’est à dire que la pose initiale se fait sur la moitié avant du pied, et la mise en charge au niveau du tiers avant du pied).

Je vous laisse juger : sur les vidéos diffusées sur la chaîne Light Feet Running, aucun n’est exactement à plat (médio-pied) et tous sont à tendance « avant pied ». La différence entre les uns et les autres, c’est que chez les coureurs de longues distances (donc moins rapides) on peut observer un contact du talon dans un second temps.

Y a t-il donc une confusion entre médio-pied et avant pied ? Sans doute, puisque le schéma intitulé « médio-pied » page 73 montre clairement la zone de l’avant pied, ou la plante de pied, et non son centre… Or, voici les différentes zones d’appuis sous nos pieds :

 

Car en effet, pour les coureurs il y a toute une palette d’appuis sur l’avant pied, alors que d’autres attaqueront talon à différents degrés. Mais il y a un nombre très faible de coureurs vont arriver, comme il le décrit dans le livre, avec un angle nul par rapport au sol. Et en plus, il est anatomiquement impossible de poser le médio-pied au sol compte tenue de l’anatomie du pied et de la voute plantaire. Ce qui fait dire à Peter Blanken, l’un des précurseurs du minimalisme en France, que la foulée médio pied n’existe pas.

Des contres vérités

La majorité des coureurs adoptent cette « méthode » LFR sans le savoir, puisqu’elle est « naturelle ». Et de mon point de vue, dire que 80% des coureurs attaquent talon (avec impact) est une contre vérité destinée peut-être à vendre la méthode, le livre et les stages au plus grand nombre. Les coureurs avec un « impact talon » représentent moins de 20% des pelletons des marathons de masse. Il serait alors plus juste d’expliquer que 80% des coureurs ont besoin de perfectionner leur foulée, en terme de fréquence de pas ou de renforcement spécifique du pied par exemple.

Ensuite, on peut lire page 29 qu’avec la foulée médio-pied, « le coureur tire parti au maximum de la force de rebond et de l’énergie élastique qu’il emmagasine sous son pied et derrière son mollet »

Et bien NON, ce n’est pas la façon la plus efficace de courir ! La configuration dans laquelle il récupérera le maximum d’énergie est la foulée sur l’avant pied, foulée qui sollicite de la totalité de la voute plantaire et du couple mollet-tendon d’Achille.

Car en foulée médio-pied (donc à plat et pas sur l’avant pied), les tendons et tissus conjonctifs de l’arche plantaire ne seront quasiment pas mis à contribution. Seule la foulée sur l’avant pied le permettra, et c’est vers cela qu’il faut tendre du 800 mètres au semi-marathon. (Au delà, il est vrai le risque de blessure aux mollets peut augmenter, et qu’un compromis est à trouver en fonction du vécu de l’athlète)

Des bons conseils

Comme je le disais en introduction, la lecture de l’ouvrage reste agréable, et on peut en retirer de bons conseils. Voici ceux que je retiens pour vous.

Avoir un pied qui revient vite vers l’avant, en passant au niveau du genou de la jambe d’appui. Cela permet de diminuer les efforts nécessaires pour mobiliser la jambe, et se mettre en bonne position pour prendre ensuite le sol de l’avant vers l’arrière.

Toucher le sol près du centre de gravité. Ou plus exactement le plus proche possible de la projection verticale du centre de gravité. C’est ainsi que la foulée sera le plus efficace, à condition de respecter et de maintenir les alignements, d’avoir un pied actif et une bonne coordination.

Courir avec une fréquence élevée. C’est vrai que pour du demi-fond au fond, le rendement énergétique sera meilleur avec des fréquences de pas élevées. Après, le « 176-180 pas par minutes » est à relativiser en fonction de la vitesse, car cela est trop élevé pour la plupart des ultra-trailers, et trop faible pour un coureur de demi-fond.

Utiliser activement ses bras. Ils sont trop souvent négligés, c’est vrai. Je vous renvois vers mon article « Faut-il tirer sur les bras ? ».

Un petit manque

Pour accompagner la transition des coureurs vers cette technique, le renforcement musculaire est évoqué à la fin de l’ouvrage. Cependant, je regrette qu’il n’y soit pas évoqué tout le travail de renforcement du pied à base d’éducatifs, d’exercices pieds nus, ou de renforcements spécifiques de l’arche plantaire. En effet, la force du pied est fondamentale lorsque l’on court sur l’avant-pied, et ne pas renforcer les muscles fléchisseurs des orteils augmente le risque de blessures, comme les périostites tibiales ou les aponévrosites plantaires.

Un gros doute

Enfin, j’émets de sérieux doutes sur la proposition du « plan de transition » sur 12 semaines. Avec cette planification, vous avez une très grande probabilité de vous blesser par manque de progressivité. Il est plus responsable de proposer une transition sur 12 mois minimum ! Si le changement de foulée s’accompagne d’un changement de chaussures comme c’est préconisé dans le livre, il faut y aller excessivement plus doucement. Si vous courez avec une paire de chaussures avec 8-10 millimètres de drop, passez à un modèle avec 5 ou 6 mm pendant 6 mois. Puis si tout va bien, passez à 3 ou 4 mm de drop pendant encore 6 mois. Puis finalement le zéro drop !

L’éventail actuel des marques et des modèles de chaussures permet de faire cela, notamment grâce à la nouvelle marque « TOPO ATHLETIC » qui propose pour chaque modèle des drops de 0, 3 ou 5 millimètres pour assurer une transition en douceur ! Et avec en plus un look plus sympa que chez ALTRA…

 

 

Pour résumer, le « Light Feet Running » est une bonne méthode pour courir sans se blesser, et c’est toujours mieux que de « talonner ». Mais ce n’est pas la méthode la plus efficace pour courir vite !

« Courir léger : Light Feet Running – le guide pour optimiser votre foulée » est néanmoins intéressant à de nombreux titre. C’est donc un livre à lire, mais selon moi uniquement si vous prenez la peine de traduire « médio-pied » par « avant pied ». Vous aurez ainsi plus de cohérence.

 

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One Reply to “J’ai lu « Courir léger : Light Feet Running »”

  1. Bonjour, étant l’auteur du livre cité, tout d’abord, merci beaucoup d’avoir parlé de mon livre. Maintenant, je me permettrai de relever quelques points correctifs:
    – la foulée coureur-marcheur et volodalen: il n’y a pas forcément de lien pour moi entre la catégorisation faite par Volodelan entre foulée terrienne et foulée aérienne décrite par volodalen et la foulée coureur-marcheur décrite dans le livre. Je dirais que la foulée LFR est un compromis entre le terrien et l’aérien (si tant est que cette distinction est vraiment un sens) et ceci en particulier grace à l’utilisation de la fréquence de pas assez élevée. D’ailleurs, si vous observez l’immense majorité du peloton des courses amateurs, vous constaterez que la cadence est beaucoup plus basse que celle du modèle du terrien (qui selon volodalen a une cadence plus élevée que l’aérien).
    – médio-pied ou avant-pied: la c’est un peu faux débat. D’abord il faut comprendre ce qu’on entend par médio-pied: c’est une zone plus longue que l’avant-pied mais qui couvre l’avant-pied et aussi la voute plantaire (ce n’est pas que le milieu du pied). En effet, pieds nus on ne peut pas poser le pied sous la voute plantaire. En revanche, dès qu’on est chaussé surtout avec une chaussure ayant du drop, c’est tout à fait possible. C’est la raison pour laquelle l’expression médio-pied correspond mieux à la réalité de la course en chaussures et surtout évite aux coureurs novices de trop forcer une pose avant-pied (ce qui risquerait d’être traumatisant pour ses mollets) ; en médio-pied, le coureur vient toucher le sol quelque part entre l’avant-pied (sous les métatarses) et devant le talon. Il faut comprendre que cela dépend donc aussi du drop de la chaussure. Ce que vous faites remarquer sur les qualités dynamiques de l’avant-pied, je le décris dans le livre en faisant référence à la « power zone ». En effet, plus vous êtes sur l’avant-pied, le pied armé, et plus vous bénéficierez du renvoi élastique.
    Comme vous l’avez souligné, ce livre est avant tout à destination pédagogique, pour le grand public et dans un format court. Il y aurait certainement beaucoup à ajouter si le livre s’adressait à des entraîneurs spécialistes comme vous ou des professionnels de la santé. Ce qui est trop simple est souvent inutile et ce qui est compliqué est le plus souvent inutilisable; c’est la raison pour laquelle j’ai essayé de viser le juste milieu. Mais tout livre est perfectible bien entendu. Bien sportivement, S. Séhel

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